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Portraits Télécom SudParis - Portrait de Mathilde Excoffier (TSP 2011), Machine Learning Tech Lead chez Facebook
Karolina Gorna (TSP, étudiante en 2 année) à la rencontre de Mathilde Excoffier (TSP 2011), Machine Learning Tech Lead chez Facebook
1. Bonjour Mathilde, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis diplômée de Télécom SudParis, promotion 2011, avec la spécialisation MSA (mathématiques, statistiques et applications). Entre ma deuxième et ma troisième année, j’ai réalisé une année « jeune ingénieur » durant laquelle je suis partie faire un stage en R&D à DCNS (actuel Naval Group) et un autre, au sein du CNRS au Japon. Il s’agissait d’une période particulière, car Fukushima avait lieu au Japon.
Durant cette période, je me suis passionnée pour les mathématiques appliquées, l’informatique, l’optimisation et la robotique. À la suite de mes études d’ingénieur, j’ai décidé de faire une thèse grâce à une bourse d’un organisme entre l’École Centrale Paris, École Polytechnique et l’Université Paris-Saclay. Le sujet de mes recherches portait sur « l’optimisation sous incertitude ». Durant cette expérience, je suis partie quelques mois à Montréal, suite à l’invitation d’un professeur canadien, pour échanger sur nos travaux. Nous travaillions sur une thématique semblable. Il axait ses recherches sur le volet applicatif tandis que j’étais davantage focalisée sur le côté théorique, ce qui nous a permis de confronter nos travaux. À la suite de ma thèse, des opportunités se sont présentées et j’ai choisi de partir dans l’industrie. J’ai travaillé dans la science des données à Saint Gobain Recherche en tant que Research Engineer. Puis, j’ai rejoint une société de conseil internationale où je m’occupais d’une équipe en Data Science. Je démarre maintenant une nouvelle aventure chez Facebook, dans le domaine du Machine Learning.
2. Votre parcours a été principalement articulé autour de la recherche. Pourquoi ce choix, et qu’avez-vous appris ?
En prépa, de nombreuses notions sont approfondies, mais c’est dans un but d’exercices. En école d’ingénieurs, l’approfondissement est moins marqué pour laisser place à un élargissement du panel de choses qu’on peut faire, voir ou résoudre. En me lançant dans la recherche, j’avais le désir de lier ces deux aspects : obtenir une expertise dans un domaine tout en étant capable de le transposer à d’autres sujets. Le fait de résoudre des problèmes dont on ne connaît pas forcément la solution m’attirait beaucoup. En prépa, nous savons qu’il existe une solution. En revanche, dans le monde de la recherche, nous avançons vers l’inconnu, c’est très stimulant !
3. Vous avez beaucoup voyagé pour vos travaux. Est-ce qu'il existe une vision différente des sciences au-delà de nos frontières ?
Il existe des différences. En premier lieu, les domaines sont perçus différemment. En effet, en France, le domaine de ma thèse était catégorisé en informatique alors qu’à l’étranger, c’était plutôt les mathématiques. L’approche française des mathématiques est beaucoup plus exclusive que dans beaucoup d’autres pays. J’ai été en Autriche, en Italie, en Angleterre, au Canada et au Japon et je faisais le même constat : à chaque fois, je côtoyais des laboratoires de mathématiques.
En second lieu, il y a aussi la spécificité des écoles d’ingénieurs, qui n’est pas toujours facile à expliquer à l’international. Cependant, on s’aperçoit que le statut d’ingénieur est lui bien reconnu. Au Canada, il existe une association des ingénieurs qui garantit cette crédibilité.
4. En tant que Lead Data Science, en quoi consiste votre quotidien ?
Mon quotidien se découpe en plusieurs axes différents et complémentaires. Tout d’abord, il y a un aspect « métier » qui est très technique. La Data Science est quelque chose de relativement nouveau (hors monde académique), très en vogue et encore méconnu. Cette discipline repose sur des matières fondamentales telles que les mathématiques, les statistiques et l’informatique. Ensuite, il existe une partie « encadrement d’équipe », une équipe majoritairement composée d’ingénieurs, dont l’objectif est d’aider à la structuration des projets ainsi que guider les personnes dans leur épanouissement professionnel. Il faut être la voix de l’équipe au sein de l’entreprise, pour accompagner au mieux chaque membre. In fine, il est important de faire en sorte que chacun soit plus expert que moi dans les domaines ! J’ajouterais, pour le troisième axe, le « développement stratégique de la compétence pour l’entreprise ». Du fait de la popularité de la Data Science, il s’agit d’identifier les projets à fort potentiel, prioriser les sujets, et rassembler les suffrages au-delà de l’équipe spécialisée pour que les projets soient portés par le plus grand nombre.
5. Est-ce qu’il y a des amalgames à ne pas faire entre Intelligence Artificielle, Machine Learning et Data Science ?
C’est une question compliquée. J’ai un profil très technique et revendique de la rigueur et de la fiabilité. Je pense qu’il faut prendre le temps de voir toute la diversité qu’offre le domaine des données et ne pas sauter les étapes.
Je dirais que le Machine Learning, c’est l’élaboration de modèles permettant à la machine d’apprendre d’un ensemble de données pour en extrapoler de l’information, déduire un futur.
La Data Science, c’est la capacité à faire parler l’information des données. C’est très vaste, allant de l’élaboration de modèles statistiques, de modèles de Machine Learning à la visualisation de résultats analysés en passant par l’optimisation de la gestion des données.
Pour finir, l’Intelligence Artificielle est très large pour moi, c’est plus un concept, un but vers lequel on tend, qu’on repousse toujours plus loin. Je le rapproche toujours un peu du test de Turing. L’Intelligence Artificielle fait appel aux domaines pré-cités, mais également à tant d’autres comme la psychologie, la robotique, la philosophie ou encore la morale.
Je pense que le jour où les robots domineront le monde n’est pas encore là, il y a encore de quoi faire. De plus, les statistiques sont un domaine complexe, et en avançant très vite, on peut biaiser les choses très facilement. Par ailleurs, je pense qu’on avait sauté l’étape de la collecte propre des données, 20 ans auparavant. Aujourd’hui, nous disposons enfin de bases de données solides, dont il faut extraire l’information correctement.
5. Avez-vous des projets que vous appréciez ou suivez en particulier ?
Je suis tous les projets en rapport avec le traitement automatique des langues (TAL). En dehors de l’intelligence artificielle, il y existe déjà de nombreuses choses à comprendre en linguistique. De plus, nous tentons d’intégrer tout cela dans des modèles. La tendance actuelle en ce qui concerne le TAL est les réseaux de neurones qui n’ont pas la spécificité d’être simples d’usage. Il est très intéressant de constater qu’il y a une confrontation entre le langage et les modèles. En effet, le langage est perçu comme quelque chose de très humain, tandis que les modèles sont considérés comme des éléments abstraits. Parfois, le fonctionnement de l’IA permet de mieux comprendre les comportements humains à travers l’interprétation de langage. En termes de projets précis, je peux parler des litiges. Dans les conflits, les désaccords ne surviennent pas souvent du jour au lendemain, cela prend du temps. Il est intéressant de voir le changement de langage et de formulations qui advient dans ce processus ainsi que les réseaux de neurones peuvent donc sentir tout cela à travers un e-mail.
6. Si nous faisons le bilan, nous sommes partis de votre parcours d’étudiante pour en arriver à tous ces projets prometteurs sur lesquels vous travaillez. Imaginiez-vous que votre situation actuelle ressemblerait à ce qu’elle est lorsque vous étiez étudiante ?
Non, je ne me l’imaginais pas. J’ai toujours eu une certaine ambition professionnelle, voulu faire des choses intéressantes et être dans un domaine dans lequel j’aurais la possibilité d’apprendre. En ce sens, je suis contente là où je suis. Dans mon cas, la direction que j’ai prise représente une bonne opportunité pour une personne qui souhaite garder des compétences pointues au niveau de la technique, tout en étant proche des problématiques de haut niveau, autrement dit liées directement au besoin des entreprises. Ce que j’ai appris lors de mes études m’a servi et je continue à apprendre. C’est vraiment satisfaisant !
7. Est-ce que dans votre vie active, aussi remplie qu’elle en a l’air, il reste un peu de place pour des passions ?
Ce point n’est pas forcément évident. Avant le confinement, j’ai de nouveau voyagé au Canada. On peut dire que le voyage est une passion. Ce qui me plaît le plus est de parvenir à m’intégrer dans un endroit donné.
Concernant les autres passions, j’apprécie également les activités en montagne telles que l’alpinisme ou la randonnée ainsi que les escape game que j’ai découverts récemment.
8. Nous retrouvons cette volonté de résoudre des problèmes et de gravir des sommets ! Avez-vous des conseils pour les étudiants qui souhaiteraient suivre votre modèle ?
Mon premier conseil est de ne pas négliger les cours en école d’ingénieurs ! Pour ma part, j’emmagasinais ce que je voulais des cours. Néanmoins, je me rends compte aujourd’hui, qu’il y avait un véritable contexte à ces cours et des professeurs disponibles pour échanger des idées avec eux. Je suis très contente d’avoir gardé mes polycopiés et les contacts avec les professeurs.
Mon deuxième conseil est de tenter. Je ne suis pas particulièrement adepte de proverbes tels que « quand on veut, on peut ». Je ne trouve pas que cela soit pertinent. Je dirais plutôt « quand on veut, on tente ». Il faut avoir un petit peu d’audace, ça se joue à peu de choses. Il est certain que parfois ça ne fonctionne pas. Dans la recherche, il m’est déjà arrivé de contacter des chercheurs avec lesquels je désirais collaborer, sans avoir de retours. Ce n’est pas grave, il y en a eu d’autres qui étaient intéressés. Pour résumer, quand nous avons une envie, il faut essayer.
9. Un dernier mot ?
En ce moment, pour les étudiants en particuliers, le mot qui revient souvent, c’est la résilience. C’est un terme parfois galvaudé, mais l’idée d’arriver à construire quelque chose malgré la situation reste essentielle. Pour moi ce qui est important dans le concept, c’est la patience, c’est le fait d’essayer. Dans mon cas, les événements de Fukushima avaient remis en cause mon stage ainsi que l’ensemble de mes travaux. Nous avons vécu beaucoup de rebondissements, avec beaucoup d’incertitudes. Cela peut être décourageant. Actuellement, même si ce n’est pas la même chose, j’ai conscience que la situation est un peu frustrante. Il faut essayer au maximum de rester actif. Pour ma part, j’ai essayé de faire ce que j’aimais, et de le faire bien, j’ai trouvé le chemin sur lequel je suis actuellement. Ce qui est certain : il n’y a pas qu’un chemin. C’est la raison pour laquelle il est important d’explorer au mieux les différents champs possibles qui s’offrent à nous.
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